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La philosophie de Rousseau au « Siècle des Lumières » : berceau des idées révolutionnaires ou aboutissement d’un courant de pensée nourri par l’histoire ?

Valeria Liljesthröm

valerialil@yahoo.com.ar

 

El “Siglo de las Luces” en la literatura francesa es un período relacionado con el surgimiento de grandes y modernas ideas de filósofos brillantes como Rousseau, Diderot, Voltaire y Montesquieu. En todos ellos existe, de una u otra manera, la referencia a experiencias de viajes al Nuevo Mundo cuyo descubrimiento despertó, por la experiencia de alteridad frente al amerindio, reflexiones profundas y críticas hacia el sistema monárquico de la “vieja” Europa.

Esta constatación resulta tanto más interesante cuanto que los manuales de literatura suelen omitir por completo esta vinculación ideológica: el siglo XVIII y las ideas de los grandes filósofos son generalmente presentadas como algo original y auténtico del pensamiento francés de la época. Sin que este estado de cosas signifique en absoluto desmerecer la magnífica obra de los escritores de las Luces, nos parece interesante rastrear las fuentes en las que, sin lugar a dudas, deben haberse inspirado.

En nuestro trabajo proponemos una relectura del primer Discurso de Rousseau, de 1750, orientada por el estudio de otras tres obras importantes de 1634, 1703 y 1721, cuyas ideas fundamentales nos permitirán demostrar que la tesis del filósofo suizo tiene su origen, al menos en parte, en una tradición literaria que nace con el descubrimiento de América.

 

En 1749, sur la route de Vincennes, allant voir son ami Diderot emprisonné, Jean-Jacques Rousseau se sent proie à une « véritable illumination » : celle qui va lui permettre d’édifier sa théorie sur la bonté naturelle de l’homme ; théorie sur laquelle s’appuie tout son système philosophique. Dans une lettre à Malesherbes, du 12 janvier 1762, Rousseau raconte ce moment « magique » :

« J'allais voir Diderot, alors prisonnier à Vincennes; j'avais dans ma poche un Mercure de France que je me mis à feuilleter le long du chemin. Je tombe sur la question de l'Académie de Dijon qui a donné lieu à mon premier écrit. Si jamais quelque chose a ressemblé à une inspiration subite, c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture : tout-à-coup je me sens l'esprit ébloui de mille lumières; des foules d'idées vives s'y présentèrent à-la-fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable; je sens ma tête prise par un étourdissement semblable à l'ivresse. Une violente palpitation m'oppresse, soulève ma poitrine; ne pouvant plus respirer en marchant, je me laisse tomber sous un des arbres de l'avenue, et j'y passe une demi-heure dans une telle agitation qu'en me relevant j'aperçois tout le devant de ma veste mouillé de mes larmes sans avoir senti que j'en répandais. Ô Monsieur, si j'avais jamais pu écrire le quart de ce que j'ai vu et senti sous cet arbre, avec quelle clarté j'aurais fait voir toutes les contradictions du système social ; avec quelle force j'aurais exposé tous les abus de nos institutions ; avec quelle simplicité j'aurais démontré que l'homme est bon naturellement, et que c'est par ces institutions seules que les hommes deviennent méchants ! Tout ce que j'ai pu retenir de ces foules de grandes vérités qui dans un quart d'heure m'illuminèrent sous cet arbre, a été bien faiblement épars dans les trois principaux de mes écrits ; savoir, ce premier Discours, celui sur l'inégalité, et le traité de l'éducation ; lesquels trois ouvrages sont inséparables, et forment ensemble un même tout. » (Rousseau, 1817 : 11-12)

Cette révélation, réitérée dans le Livre VIII des Confessions de l’auteur, a probablement donné plus de poids à l’originalité que l’on confère habituellement à ses idées. Si l’on en juge par la façon dont nombreux livres d’histoire de la littérature française présentent le Siècle des Lumières et son représentant genevois, il semblerait que « l’homme naturel » dont parle Rousseau ne soit autre chose que « l’être instinctif qu’il fut lui-même » (Lanson et Tuffrau, 1956 : 401) et que les principes qui soutiennent son hypothèse soient tirés de sa propre expérience. Selon Abel Grenier, Rousseau fut « bon, libre et heureux pendant qu’il vécut dans la nature ; perverti, dépendant et misérable dès qu’il entra dans la société » et il affirme ensuite que l’hypothèse de l’écrivain est la « pure création de son invention » (Grenier, 1946 : 490, 499). Dans le même sens, G. de Plinval et E. Richer déclarent que les doctrines de Rousseau sont « un étrange mélange de sophismes et de vérités : l’histoire et la réalité ne comptent pas à ses yeux. Ses théories émanent de son tempérament » (Plinval et Richer, 1978 : 141). Et ainsi pourrait-on citer bien d’autres historiens confirmant les confessions du Genevois à propos de la naissance de ses principes philosophiques fondamentaux.

Or, sans vouloir nullement mésestimer la valeur de l’écrivain et du philosophe que fut Rousseau, il ne nous semble guère probable que toutes les idées qui ont donné forme à son Discours([1]) et aux autres écrits qu’il a produits par la suite, aient été le fruit de sa seule imagination ou d’une illumination magique. Nous croyons, au contraire, que bien de lectures et de récits sur des sociétés considérées « meilleures », très féconds depuis la découverte du Nouveau Monde par les Européens, ont semé dans son esprit les idées et les principes sur lesquels s’est érigée sa théorie première. Un éclairage sur cet aspect de l’œuvre de Rousseau nous apparaît d’autant plus nécessaire qu’il nous invite à relire l’histoire des idées qui ont nourri la littérature française depuis le XVIème siècle, ainsi qu’il redonne une place d’importance à une littérature trop ignorée malgré les richesses qu’elle renferme.

 

Un peu d’histoire sur les idées « révolutionnaires » de Rousseau

« Le fait littéraire, quel qu’il soit […] n’obéit en aucun cas à un développement autonome. Il est étroitement lié à l’histoire, à la société, à l’économie. Il est profondément marqué par les ‘idéologies’ de son époque, par la vision du monde de la classe dominante ou par celle des classes antagonistes. […] [Lors de] l’histoire idéologique de la France, […] les mouvements d’idées qui ont traversé notre pays ont trouvé à tout moment des sources, des correspondances ou des influences dans les courants de pensée étrangers. » (Bos, et al.,1974:1)

Au moment où le progrès des sciences, des connaissances humaines et de la civilisation étaient glorifiés par la plupart des intellectuels, Rousseau remportait le prix à l’Académie de Dijon avec son premier Discours, prônant une « délivrance des lumières et des funestes arts » et un retour « à l’ignorance, l’innocence et la pauvreté, les seuls biens qui puissent faire notre bonheur ». Sans aucun doute, cette théorie, que l’écrivain a continué de développer par la suite, se révélait singulière et provocante dans le contexte des années 1750. Elle a valu à Rousseau de durs affrontements, la censure et l’exil ; mais elle lui a valu aussi, et surtout, la gloire et la reconnaissance intellectuelle qu’il recherchait – et qu’il méritait assurément.

Le philosophe genevois a probablement cru, de bonne foi, à la spontanéité et à l’originalité de ses idées ; présupposé qu’il ne s’agit pas, ici, de mettre en question. Mais nous savons, cependant, que plusieurs penseurs avant lui avaient eu les mêmes soucis et s’étaient permis de critiquer les fondements de la civilisation européenne appelée, selon eux à tort, « civilisée ». Montaigne en est un, que Rousseau cite, d’ailleurs, à plusieurs reprises dans son Discours. Et il y en a eu encore bien d’autres depuis le XVIème siècle, moins renommés, mais non pas pour autant inconnus des contemporains du philosophe. C’est, effectivement, pendant l’essor colonial que la rencontre des Européens avec de nouvelles nations « sauvages » et exotiques éveille, chez de nombreux voyageurs, missionnaires et écrivains, les pensées qui sembleront « révolutionnaires » au Siècle des Lumières. Ainsi, la théorie de la bonté naturelle de l’homme et des méfaits de la civilisation trouve ses germes bien avant 1749 et bien plus loin qu’à Vincennes.

Il nous a paru intéressant, afin de rappeler quelle fut la genèse de cette théorie, de l’observer d’un point de vue historique et rétrospectif, par l’analyse de quelques textes généralement laissés de côté par les livres d’Histoire de la littérature française. Notre étude va se limiter à deux écrits de la Nouvelle-France([2]) – la Relation de 1634 du Jésuite Paul Lejeune et les Dialogues du Baron de Lahontan et d’un Sauvage publiés en 1703 – et à la comédie de Delisle de la Drevetière, Arlequin sauvage, représentée en France en 1721. Une démarche chronologique va nous permettre d’observer comment les mêmes idées ou constatations ont été reprises et réélaborées au cours des années par les différents auteurs, et comment la théorie dont il est question ici fut progressivement construite et modelée par les successives générations d’écrivains, avant d’arriver à ce que fut enfin le discours philosophique de Jean-Jacques Rousseau.

 

I. La théorie de Rousseau

Pour répondre à la question de l’Académie de Dijon, « si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs », Rousseau soutient une hypothèse principale qu’il développe longuement à l’aide de nombreux exemples. Il affirme que loin d’épurer les mœurs, le développement de la civilisation – qui implique, nécessairement celui des sciences et des arts – a été funeste à la vertu primitive de l’homme. Selon lui, il y aurait une « vraie sagesse », authentique, innée, celle qui guide l’homme naturellement ; et puis une sagesse frivole, superflue et néfaste pour l’humanité, qui correspond au développement des sciences et des arts. D’après sa théorie, la décadence des mœurs serait « une conséquence logique du progrès des lumières, car les sciences sont faites pour satisfaire nos vices », elles « sont vaines dans l’objet qu’elles se proposent et par les effets qu’elles produisent ».

Pour ce qui est des arts et du bon goût, ils entraîneraient, d’après le philosophe, le luxe et la frivolité et nous rendraient prisonniers de ces usages policés, au point de faire de nous des esclaves, car « sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce qu’on est ; et, dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu’on appelle société […] feront tous les mêmes choses. » Cette sujétion aux principes dictés par le bon goût et la bienveillance conduirait ainsi, enfin, au mensonge et à la fausseté. 

À ce portrait de l’homme civilisé, Rousseau oppose celui d’un petit nombre de peuples qui, « préservés de cette contagion de vaines connaissances, ont, par leurs vertus, fait leur propre bonheur » et il évoque, comme exemple à suivre, « ces nations heureuses, qui ne connaissent pas même le nom de vices que nous avons tant de peine à réprimer ; […] ces sauvages d’Amérique. »

L’écrivain va beaucoup insister sur son concept de « bonté naturelle » – concept structurant de toute sa théorie – qu’il va associer aux « premiers temps », à « l’heureuse ignorance », aux « âmes simples » et d’où il va tirer « la véritable philosophie » :

On ne peut réfléchir sur les mœurs, qu’on ne se plaise à se rappeler l’image de la simplicité des premiers temps. » (Discours, p. 16)

« Le luxe, la dissolution et l’esclavage ont été de tout temps le châtiment des efforts orgueilleux que nous avons faits pour sortir de l’heureuse ignorance où la sagesse éternelle nous avait placés. » (Discours, p. 11)

« Ô vertu, science sublime des âmes simples, […] Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs ? et ne suffit-il pas pour apprendre tes lois de rentrer en soi-même, et d’écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions ? Voilà la véritable philosophie. » (Discours, p.24)

 

II. Les Relations de Paul Lejeune

Ce portrait de l’« ignorance » et de la vie heureuse des âmes simples, Paul Lejeune, le Père supérieur de la congrégation des Jésuites à Québec, l’avait décrit plus d’une centaine d’années auparavant, dans les Relations annuelles qu’il rédigeait depuis la Nouvelle-France et qui étaient publiées à la métropole. Il ne louait pas nécessairement ce type de vie « sauvage », qu’il considérait à l’époque primitive, mais il y reconnaissait déjà de nombreuses vertus.

Dans ses Relations([3]), il a consacré beaucoup de pages à la description des mœurs des nations qui habitaient le territoire où s’est implantée la colonie, notamment les Montagnais, et de ces portraits riches en détails ont dû surgir de nombreux modèles de « bons Sauvages » que plusieurs écrivains ont mis en scène par la suite dans leurs œuvres.

Quoique les préjugés et l’européocentrisme soient inséparables du texte de Lejeune, la ressemblance des passages que nous allons citer, avec le modèle d’homme préconisé par Lahontan, Delisle de la Drevetière et Rousseau, est assez frappante. En effet, tous les quatre utilisent comme procédé argumentatif saillant dans leur thèse la comparaison « homme civilisé-homme primitif » et ils y abordent à peu près les mêmes aspects. Nous ne ferons pas ici un relevé exhaustif de tous les points communs existants entre les écrivains, mais nous montrerons, à l’aide de quelques exemples, à quel point l’intertextualité est forte et la continuité de la théorie est un fait difficilement contestable.  

Dans la description des « Sauvages » qu’il rencontre au Canada, Paul Lejeune met en valeur, dans un premier moment, leurs « bonnes choses ». Parmi ces vertus, la bonté naturelle, intrinsèque, des Amérindiens est probablement la plus importante qu’il trouve à signaler:

« Pour l’esprit des Sauvages, il est de bonne trempe, […] c’est pourquoi, ces barbares ayant un corps bien fait et les organes bien rangés et bien disposés, leur esprit doit opérer avec facilité : la seule éducation et instruction leur manque, leur âme est un sol très bon de la nature. […] [N]os sauvages sont heureux, car les deux tyrans qui donnent la gène et la torture à un grand nombre de nos Européens, ne règnent point dans leurs grands bois, j’entends l’ambition et l’avarice. Comme ils n’ont ni police, ni charges, ni dignités, ni commandement aucun, car ils n’obéissent que par bienveillance à leur Capitaine, aussi ne se tuent-ils point pour entrer dans les honneurs, d’ailleurs comme ils se contentent seulement de la vie, pas un d’eux ne se donne au Diable pour acquérir des richesses. » (Relation, p. 101-102)

Dans ce mode de vie simple, dépourvu des intérêts et des ambitions qui « empoisonnent » les Européens, où tous les hommes sont égaux et ne doivent soumission à personne, la bonne entente entre les membres de la nation semble survenir naturellement : « Ils s’entraiment les uns les autres, et s’accordent admirablement bien ; vous ne voyez point de disputes, de querelles, d’inimités. »

Le manque de commandement (que Lejeune signale de façon critique), mais aussi le désintérêt pour les choses matérielles et les richesses, font des Amérindiens des êtres « libéraux » et heureux, sans jalousies et très généreux : 

« Ils sont fort libéraux entre eux, voire ils font état de ne rien aimer, de ne point s’attacher aux biens de la terre, afin de ne se point attrister s’ils les perdent. […] L’une de leurs grandes injures parmi eux, c’est de dire cet homme aime tout, il est avare. […] Ils n’ouvrent point la main à demi quand ils donnent. » (Relation, p. 107)

Les « bonnes choses » que le missionnaire repère parmi les Montagnais dressent le portrait d’un homme qui pourrait dépasser, en vertus, le caractère des Européens. Le Jésuite ne l’affirme pas, évidemment, puisque les « Sauvages » ont, pour lui, un grand défaut : leur incroyance envers le Dieu des Chrétiens. Cependant, en précisant que leur principal problème est le manque d’instruction, il nous le fait lire entre les lignes.

Ce portrait sera repris et reproduit par la suite, et son contraire sera maintes fois dénoncé, entre autres, par Rousseau :

« Les princes voient toujours avec plaisir le goût des arts agréables et des superfluités […] s’étendre parmi leurs sujets : car outre qu’ils les nourrissent ainsi dans cette petitesse d’âme si propre à la servitude, ils savent très bien que tous les besoins que le peuple se donne, sont autant de chaînes dont il se charge. » (Discours, p. 4)

Presque sans contraintes, les « Sauvages » de Lejeune étalent, par ailleurs, une simplicité des mœurs qui le choquent, justement par manque de goût et de bienséance. Ils agissent en fonction de leur commodité, de leur plaisir et de l’utilité, et cela s’applique notamment aux vêtements, lesquels ne donnent aucune dignité ni distinction. Or, là où le Jésuite ne voit qu’un défaut : « leur posture, elle suit la douceur de leur commodité, et non les règles de la bienséance : les Sauvages ne préfèrent jamais ce qui est honnête à ce qui est délectable » ; ses successeurs, eux, n’y trouveront que du mérite. Aux dires de Rousseau, par exemple, les règles du bon goût « étouffent en [l’homme] le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer l’esclavage, et en forment ce qu’on appelle des peuples policés. »

On constate, par les exemples qui précèdent, que Lejeune n’était pas encore prêt, dans les années 1630, à voir avec des yeux moins critiques une société aussi différente de la sienne. Il fallait probablement prendre un peu de recul pour cela, mais il est vrai aussi – et il ne faut jamais le perdre de vue en lisant ce type d’écrits – que le missionnaire s’adressait à ses supérieurs et au Roi, dans le but d’obtenir du soutien et de l’approbation pour mener à bien son entreprise, il va donc de soi que certains commentaires ne pouvaient pas facilement être prononcés par le Père([4]). Nonobstant, le portrait de l’« homme naturel » était dressé et il allait susciter, par la simple comparaison avec l’« homme civilisé », les questionnements qui ont conduit jusqu’au Discours. Finalement, nous pourrions citer ce dernier passage de Lejeune, dont la ressemblance avec certains propos de Rousseau est très éloquente :      

« Ils ne pensent qu’à vivre ; ils mangent pour ne point mourir ; ils se couvrent pour bannir le froid, non pour paraître ; la grâce, la bienséance, la connaissance des arts, les sciences naturelles, et beaucoup moins les vérités surnaturelles, n’ont point encore de logis en cet hémisphère […]. Ce peuple ne croit pas qu’il y ait autre science au monde que de vivre et de manger. Voilà toute leur philosophie. » (Relation, p. 166)

 

III. Les Dialogues de Lahontan

Dépossédé de ses terres, Louis-Armand de Lom d'Arce, baron de Lahontan, s’engage à l’âge de 17 ans dans la marine française et s'embarque pour le Canada en août 1683. Après quelques expéditions militaires, Lahontan s’embrouille avec ses supérieurs et doit quitter la Nouvelle-France. Entre 1702-1703, il confirme la rupture avec la France par la publication de ses trois premiers ouvrages, dont nous étudierons ici le troisième.   

Dans les Dialogues du Baron de Lahontan et d’un Sauvage (dorénavant Dialogues), le regard porté sur les « Sauvages » a bien changé par rapport à celui des Relations des Jésuites : 

« En disant simplement que je suis ce que les Sauvages sont, ils me donnent, sans y penser, le caractère du plus honnête homme du monde ; puisqu’enfin c’est un fait incontestable, que les nations qui n’ont point été corrompues par le voisinage des Européens, n’ont ni tien ni mien, ni lois, ni Juges, ni Prêtres. » (Dialogues, p. 9)

Lahontan prend ouvertement le parti des Amérindiens et ne parle plus des « Sauvages » comme des hommes ayant « de bonnes et de mauvaises choses » qu’il fallait absolument instruire et civiliser, tel que le faisait Paul Lejeune. Au contraire, dans les Dialogues, les nations amérindiennes deviennent des modèles à suivre et des exemples de sagesse par rapport auxquels les Français sont résolument plus ignorants et malheureux. L’écrivain fait le procès de la société française en passant par la religion, par les lois, par les mœurs et par de nombreux aspects qui excèdent ceux traités par Rousseau dans son premier Discours, mais qui vont sans doute influencer ses écrits postérieurs, notamment son Discours sur l’Inégalité.

Les conversations entre Lahontan et Adario, un Huron, nous permettent de comparer la nation « sauvage » et la nation « civilisée » (concrètement, la France). Or, paradoxalement, pendant ces entretiens, celui qui raisonne sagement c’est Adario et son interlocuteur ne fait que soutenir avec obstination la prétendue supériorité du système Européen, de ses croyances et de ses mœurs. Même si le style de Lahontan, par son ironie percutante, diffère beaucoup de celui de Rousseau, on peut facilement reconnaître, chez les deux auteurs, les mêmes préoccupations. Nous y retrouvons, encore une fois, les idées de « vertu primitive » et de « sagesse naturelle » s’opposant à la fausse vertu des sociétés « civilisées » et aux faux avantages des sciences et des institutions modernes qui conduisent, sans qu’on s’en aperçoive, à l’esclavage : 

« Ha ! vive les Hurons, qui sans Lois, sans prisons, et sans tortures, passent la vie dans la douceur, dans la tranquillité, et jouissent d’un bonheur inconnu aux Français. Nous vivons simplement sous les Lois de l’instinct, et de la conduite innocente que la Nature sage nous a imprimée dès le berceau. Nous sommes tous d’accord et conformes en volontés, opinions et sentiments. Ainsi, nous passons la vie dans une si parfaite intelligence, qu’on ne voit parmi nous ni procès, ni dispute, ni chicanes. Ha ! malheureux que vous êtes à plaindre d’être exposés à des Lois auxquelles vos Juges ignorants, injustes et vicieux contreviennent autant par leur conduite particulière qu’en l’administration de leurs Charges. » (Dialogues, p. 41)

« Ma foi, mon cher Frère, je te plains dans l’âme. Crois-moi, fais-toi Huron. Car je vois la différence de ma condition à la tienne. Je suis maître de mon corps, je dispose de moi-même, je fais ce que je veux, je suis le premier et le dernier de ma Nation ; je ne crains personne et ne dépends uniquement que du grand Esprit. Au lieu que ton corps et ta vie dépend […] de mille gens que les Emplois ont mis au-dessus de toi. » (Dialogues, p. 37)

Bien avant Rousseau, les Dialogues ont renversé hardiment les valeurs établies en s’opposant à la subjectivité des « civilisés ». Lahontan se moque des mœurs raffinées et du luxe de ses compatriotes et défend le mode de vie des Amérindiens par un procédé qui sera également utilisé par Delisle de la Drevetière et auquel le philosophe genevois fera allusion, plus tard, dans son Discours([5]: il met le Huron, connaisseur des mœurs françaises, face au choix du mode de vie qui lui semblerait le meilleur, et celui-ci, très sciemment, sans être dupe des apparences bienfaisantes de la vie des Européens, choisit la vie huronne :

« Si je n’étais pas si informé que je le suis de tout ce qui se passe en France, […] je pourrais me laisser aveugler par ces apparences extérieures de félicité, que tu me représentes ; mais ce Prince, ce Duc […] ne sont moins qu’heureux, à l’égard de Hurons qui ne connaissent d’autre félicité que la tranquillité d’âme et la liberté.[…] [J’]aimerais mieux si j’étais à leur place, être Huron, avoir le corps nu et l’âme tranquille. Le corps est le logement de l’âme, qu’importe que ce Corps soit doré, étendu dans un carrosse, assis à une table, si cette âme le tourmente, l’afflige et le désole ? […] Ils sont esclaves de leurs passions et de leur Roi, qui est l’unique Français heureux. » (Dialogues, p. 61)

Au sujet des apparences, on peut constater chez Lahontan un changement de point de vue par rapport à Lejeune : Adario reconnaît avec lucidité que l’aspect extérieur ne détermine aucunement la valeur des gens, et il remarque, dans ce sens, que la qualité ou les artifices de l’habillement, qui font en Europe les gens « vertueux », répondent justement à un manque ou à un défaut :

« Car à quoi servirait l’or et l’argent des Français, s’ils ne les employaient à se parer avec de riches habits ? Puisque ce n’est que par le vêtement qu’on fait état des gens. N’est-ce pas un grand avantage pour un français de pouvoir cacher quelque défaut de nature sous de beaux habits ? » (Dialogues, p. 92)

La même explication sera reprise par Rousseau, pour qui « la vertu ne marche guère en si grande pompe » : l’homme de bien, affirme-t-il, « méprise tous ces vils ornements qui gêneraient l’usage de ses forces et dont la plupart n’ont été inventés que pour cacher quelque difformité. » Cette réprobation de la finesse dans toutes ses formes sera longuement argumentée par les deux auteurs, ainsi que par Delisle de la Drevetière, parce qu’elle est contraire à la nature, parce  qu’elle conduit au mensonge et que, en répondant aux principes de l’art de plaire, elle conduit à la perte des libertés.

Enfin, pour ne citer qu’un dernier trait des « Sauvages » de Lahontan, en  relation directe avec le Discours de Rousseau, il faudrait souligner le mépris des Hurons pour les sciences européennes:

« À l’égard des sciences que vous connaissez, elles nous seraient inutiles ; car pour la Géographie, nous ne voulons pas nous embarrasser l’esprit en lisant des livres de Voyages qui se contredisent tous […]. L’Astronomie ne nous est pas plus avantageuse, car nous comptons les années par les Lunes […]. La Navigation encore moins […]. Les Fortifications non plus ; un Fort de simples palissades nous garantit des flèches et des surprises de nos Ennemis, à qui l’artillerie est inconnue. En un mot, vivant comme nous vivons, l’écriture ne nous servirait de rien. » (Dialogues, p. 73)   

L’inutilité des sciences, autrement dit, la constatation de leur frivolité pour le mode de vie des « Sauvages », constitue en effet l’un des piliers du Discours de Rousseau, qui va clore son texte en prônant un abandon des savoirs non-fondamentaux pour la société et une prévalence des « savoir faire » naturels :

« Laissons à d’autres le soin d’instruire les peuples de leurs devoirs, et bornons-nous à bien remplir les nôtres ; nous n’avons pas besoin d’en savoir davantage. […][S]ans envier la gloire de ces hommes célèbres qui s’immortalisent dans la république des lettres, tâchons de mettre entre eux et nous cette distinction glorieuse qu’on remarquait jadis entre deux grands peuples : que l’un savait bien dire, et l’autre bien faire. » (Discours, p. 24)

 

IV. Arlequin Sauvage([6])

Cette différence entre « savoir dire » et « savoir faire », l’Arlequin de Delisle de la Drevetière l’avait déjà énoncée presque dans les mêmes termes que l’a fait Rousseau une vingtaine d’années plus tard :

« Eh bien, viens-t’en avec moi, je te mènerai dans un pays où nous n’aurons pas besoin d’argent pour être heureux, ni de Lois pour être sages : notre amitié sera tout notre bien, et la raison toute notre Loi : nous ne dirons pas de jolies choses, mais nous en ferons. » (AS, p. 87)   

Le scénario d’Arlequin Sauvage, comédie en trois actes représentée par les Comédiens Italiens du Duc d’Orléans, est le dernier antécédent de la théorie de Rousseau que nous allons citer dans ce travail. Tel qu’on pourra le constater, il n’y a pas vraiment de nouveaux principes philosophiques dans cette œuvre : tout avait déjà été dit très clairement dans les Dialogues de Lahontan. D’ailleurs, le procédé qu’utilise le dramaturge pour exposer ses idées (confronter un « sauvage » aux mœurs des Européens) ressemble énormément, comme nous l’avons déjà signalé, à la formule de son prédécesseur : Arlequin est un « Sauvage de l’Amérique », qui a été amené en France, par son ami Lelio, afin qu’il connaisse la vie « civilisée ». Le pauvre étranger va se voir mis en présence de toutes sortes de situations absurdes – à en juger par son bon sens – qui lui apprendront comment vivent et pensent les Français, par le biais desquelles l’écrivain va mettre en évidence, de façon comique, les défauts de sa société. Dans cette pièce, contrairement à ce que faisait Lahontan, les Français finissent par reconnaître la sagesse d’Arlequin, d’ailleurs c’est à lui, « parce qu’il aime la vérité, et la dit toujours lorsqu’il la connaît », que l’on demande conseil au moment de décider sagement. Même si cette sagesse ne l’élève pas au-dessus de son rang social (Arlequin reste un « sauvage » qui obtient les faveurs d’une suivante, tandis que son protecteur Lelio, lui, obtient les faveurs de Flaminia, une femme de sa position), la voix de la raison l’emporte sur celle des intérêts et des fausses vertus. Par tout ceci, la lecture de cette œuvre nous  rapproche vraiment beaucoup du Discours de Rousseau.

Depuis le début, aussi bien que les autres écrivains, le dramaturge prône la sagesse et la bonté naturelle des « Sauvages », tout en questionnant la malhonnêteté des Européens : « [i]l n’est pas difficile de le deviner. Si vous avez besoin de Lois pour être sages et honnêtes gens, vous êtes fous et coquins naturellement : cela est clair. » Et Rousseau se demandera, lui aussi : « Sans les injustices des hommes, à quoi servirait la jurisprudence ? »

Puis, Arlequin ajoute : 

« Moi ? je suis d’un grand bois où il ne croît que des ignorants comme moi, qui ne savent pas un mot de Lois ; mais qui sont bons naturellement. Ah ah, nous n’avons pas besoin de leçons nous autres, pour connaître nos devoirs ; nous sommes si innocents, que la raison seule nous suffit. » (AS, p. 20).

Et Rousseau, à son tour :

« Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu nous préserver de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant ; que tous les secrets qu’elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit. » (Discours, p. 11)

Au manque de vertu naturelle, provoqué par la corruption qu’introduisent les Lois, s’ajoute chez le dramaturge, comme chez Lahontan, la critique de l’artifice qu’entraînent le « bon goût » et la bienséance, dans les manières et dans l’apparence. Ainsi : « [i]l n’y a pas un Sauvage, pour bête qu’il fût, qui ne crevât de rire, s’il savait qu’il y a d’honnêtes gens dans le monde, qui jugent du mérite des hommes par leurs habits ». Arlequin va également  maudire ce « pays civilisé » où tout est faux, « où la bonté que vous faites semblant d’avoir n’est qu’un piège que vous tendez à la bonne foi de ceux que vous voulez attraper », où les hommes ont besoin de « caution » pour être fiables. Ce dernier défaut des sociétés civilisées se trouve, une fois de plus, dans le Discours où le philosophe s’exclame :

« La politesse exige, la bienséance ordonne […] on ne saura donc jamais bien à qui l’on a affaire. […] Quel cortège de vices n’accompagnera point cette incertitude ! Plus d’amitiés sincères ; plus d’estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison, se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée, que nous devons aux lumières de notre siècle. » (Discours, p. 5) 

Delisle de la Drevetière, dans sa pièce, s’appuie sur cette méfiance interpersonnelle pour introduire le sujet de l’argent comme « caution », comme valeur par-dessus toutes les autres valeurs humaines et comme source d’inégalité parmi les hommes. Il va sans dire que ce passage extraordinaire d’Arlequin Sauvage, dont le sujet n’est pas développé dans le premier Discours de Rousseau, rappelle nonobstant son deuxième Discours, texte qu’il serait intéressant d’analyser, lui aussi, à la lumière de ses précurseurs malheureusement oubliés.

Enfin, annonçant le principe de la décadence des mœurs par le développement des sciences et des arts (Rousseau, dans son premier Discours, n’approfondit presque pas son association entre les vices entraînés par les arts et la richesse, mais cette relation va de soi puisque ceux qui, à l’époque, peuvent faire cas de ces superfluités, jouissent nécessairement d’aisance économique), Lelio avoue à son ami sauvage que dans sa société, fondée sur l’inégalité,

« les pauvres ne travaillent que pour avoir le nécessaire ; mais les riches travaillent pour le superflu, qui n’a point de bornes chez eux, à cause de l’ambition, du luxe et de la vanité qui les dévorent : le travail et l’indigence naissent chez eux de leur propre opulence. » (AS, p. 53)

Face à cela, Arlequin va répondre avec deux répliques qui suffisent, à notre avis, à la confirmation de notre hypothèse parce qu’elles résument, en quelques lignes, les idées directrices de la thèse de Rousseau :       

« Je pense que vous êtes des fous qui croyez être sages, des ignorants qui croyez être habiles, des pauvres qui croyez être riches, et des esclaves qui croyez être libres. […] Vous êtes fous ; car vous cherchez avec beaucoup de soins une infinité de choses inutiles : vous êtes pauvres, parce que vous bornez vos biens dans de l’argent, ou d’autres diableries, au lieu de jouir simplement de la nature comme nous, qui ne voulons rien avoir, afin de jouir plus librement de tout. Vous êtes esclaves de toutes vos possessions, que vous préférez à votre liberté et à vos frères […]. Enfin, vous êtes des ignorants, parce que vous faites consister votre sagesse à savoir les Lois, tandis que vous ne connaissez pas la raison, qui vous apprendrait à vous passer des Lois comme nous. » (AS, p. 54-55)

Le « Sauvage » de Delisle de la Drevetière a donc compris, par cette confrontation de sa culture avec celle des Européens, que Lelio a « l’esprit gâté par les Lois de ce pays » et il en est « fâché, car dans le fond il est bon homme ». Il s’agit, dans ces phrases prononcées par Arlequin, de la constatation de la dégradation de l’homme par la société « civilisée », en opposition à la conservation de la bonté, de la sagesse et de l’authenticité naturelle des hommes « sauvages ». Autrement dit, nous voici, une vingtaine d’années auparavant, face à la thèse du Discours de Jean-Jacques Rousseau.

Tel qu’on a pu le voir à travers les textes des trois précurseurs du philosophe genevois, les thèmes principaux à partir desquels se construit la théorie de celui-ci, avaient déjà été évoqués par les premiers voyageurs, colonisateurs et missionnaires de la Nouvelle France, depuis le XVIème et XVIIème siècle. Le parcours chronologique des différents auteurs à l’étude a mis en évidence l’évolution des mentalités par rapport à la vision de l’Autre et de soi même, ainsi que le changement de position explicite qu’ils ont eu, progressivement, face à la reconnaissance des défauts de leur propre culture.

Nous croyons avoir ainsi démontré, par le cheminement qu’ont suivi les idées directrices du Discours de Rousseau, qu’elles ont été façonnées par beaucoup d’écrivains avant lui ; car, comme l’affirme Gilbert Chinard, la littérature de la Nouvelle-France, la littérature de voyages, « trainait » partout à l’époque : « [c]’était un lieu commun » et « en le faisant sien, ce qui était son droit, Rousseau ne faisait qu’adopter une tradition littéraire » (Chinard, 2000 : 345).

C’est justement à cette tradition littéraire que nous avons voulu rendre hommage, ne serait-ce qu’en rappelant son existence, mais surtout, en revendiquant la valeur et l’originalité de certaines œuvres remarquables qui méritent une plus grande place au sein des études littéraires françaises.     

 

Repenser le Siècle d’Or de la philosophie française

Les observations apportées jusqu’ici nous ont permis de nuancer la valeur que l’on donne très souvent au Siècle des Lumières français, dans une visée de réalisme et d’objectivité par rapport aux faits historiques et culturels que nous avons étudiés. Il semble invraisemblable que les idées « révolutionnaires » surgies en France au XVIIIème siècle aient été le fruit d’un « illuminisme » soudain et nouveau duquel se seraient nourri les intellectuels de l’époque. Bien au contraire, verbalisées par des philosophes comme Montesquieu, Diderot ou Rousseau, celles-ci ont une longue histoire qui méritait d’être rappelée.

Centrer notre attention sur la théorie de Jean-Jacques Rousseau était d’autant plus intéressant que, pour aller à l’encontre des visions de son siècle, elle a généralement donné l’illusion d’une authentique originalité. Pourtant, un parcours à travers certains antécédents littéraires, depuis la naissance de la Nouvelle-France en Amérique, met immédiatement en évidence que le questionnement de l’idée de « civilisation », ainsi que la  revalorisation de l’état « naturel » de l’homme, datent des voyages de découverte du Nouveau Monde et surgissent comme conséquence naturelle de la rencontre avec l’Autre.

Le fait que les écrits qui ont transmis ces idées pendant des siècles n’aient pas appartenu à la « grande » littérature est peut-être la raison qui explique l’oubli et l’omission dont ils font objet. Et il est indéniable que les grands philosophes illuministes ont élaboré et développé ces principes avec un talent remarquable. Or, il serait juste de se demander, si cela aurait pu être ainsi sans les antécédents littéraires auxquels nous avons fait allusion – et tant d’autres qu’il serait intéressant d’étudier – et sans le mûrissement et l’évolution que les idées ont subi à travers les siècles, et qui ont préparé les mentalités de la société française pour qu’une théorie comme celle que Rousseau a eu le bonheur d’élaborer, puisse éclore, un jour de 1749, sur la route de Vincennes.   

 

Bibliographie

AA.VV. (1814) Biographie universelle, ancienne et moderne, Volume XI, L. G. Michaud, Imprimeur du Roi, Paris.

BOS, D., R. HORVILLE et B. LECHERBONNIER (1974) Littérature et Langages : les genres et les thèmes. Tome IV, « La littérature et les idées », Fernand Nathan Éditeur (collection dirigée par H. Mitterand), Paris.

CHINARD, Gilbert (2000) L’Amérique et le rêve exotique dans la littérature française au XVIIe et au XVIIIe siècle, Slatkine Reprints, Genève.

DE PLINVAL, G.et E. RICHER (1978) Histoire de la littérature française, Hachette (Faire le Point), Paris.

GRENIER, Abel (1946) Historia de la literatura francesa, versión castellana de M. Machado, Ed. Sophos (col. Enseñanza), Bs. As.

LA HONTAN, Louis Armand de Lom d'Arce (baron de) (1704) Dialogues de M. le baron de Lahontan et d'un sauvage, dans l'Amérique : contenant une description exacte des mœurs et des coutumes de ces peuples sauvages ; Avec les voyages du même en Portugal et en Danemarc..., chez la Veuve de Boeteman, Amsterdam. 

LANSON, G.et P. TUFFRAU (1956) Manual de historia de la literatura francesa, Ed. Labor S.A., Barcelona.

LEJEUNE, Paul (1635) Relation de ce qui s'est passé en la Nouvelle-France en l'année 1634 : envoyée au R. Père [Barth. Jacquinot], provincial de la Compagnie de Jésus en la province de France, chez Sébastien Cramoisy, Paris.

ROUSSEAU, J.-J. (1817) Œuvres de J.J. Rousseau, citoyen de Genève, tome XV, de l’imprimerie de P. Didot l’Ainé, Paris.

ROUSSEAU, J.-J. (1923) « Discours : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs », dans Contrat Social ou Principes du droit politique, précédé de Discours, Lettre à D’Alembert sur les spectacles et suivi de Considérations sur le Gouvernement de Pologne et la reforme projetée en avril 1772, Librairie Garnier Frères, Paris, p.1-24.

 


[1] J.-J. Rousseau, Discours : Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs, 1750. [Dorénavant, dans ce travail : Discours].

[2] La littérature de la Nouvelle-France, nom dont fut baptisé le territoire colonisé par les Français dans ce qui est actuellement le Canada, comprend tous les écrits (relations, journaux, lettres, chroniques, etc) rédigés depuis le premier voyage de découverte du continent par Jacques Cartier en 1534, jusqu’à la fin de la période coloniale française et débuts de la colonie anglaise en 1763.

[3] Ici, nous étudions la Relation de 1634 de Paul Lejeune, considérée par beaucoup de critiques comme le « sommet de l’œuvre littéraire » du Jésuite. Toutes les citations de notre étude appartiennent à ce texte, dorénavant appelé Relation.

[4] Il faut rappeler, à ce propos, que dans sa Relation de 1632, Lejeune affirmait que la pauvreté des Amérindiens servait « au moins à les éloigner d’un certain nombre de tares morales » et qu’ « en la Nouvelle-France il n’y a que les pêchés à détruire, et encore en petit nombre, car ces pauvres gens, si éloignés de toutes délices, ne sont pas adonnés à beaucoup d’offenses.»  Cette constatation  nous permet de nuancer certaines critiques que le Père fait dans sa Relation de 1634 et de croire que sa pensée était moins éloignée de celle de Rousseau qu’il n’y aurait parfois lieu de croire.

[5] En effet, Rousseau affirme dans son Discours qu’ « un habitant de quelques contrées éloignées qui chercherait à se former une idée des mœurs européennes sur l’état des sciences parmi nous,  […] sur la politesse de nos manières, sur l’affabilité de nos discours, sur nos démonstrations perpétuelles de bienveillance […] devinerait exactement de nos mœurs le contraire de ce qu’elles sont. » (p. 6)

[6] Dorénavant, pour les citations : AS.

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